CF : Comment faisiez-vous cette musique ? Avec des musiciens, des machines ?
Certainement pas avec des musiciens sinon je retournais dans une démarche classique. Il me fallait par contre trouver de nouvelles harmonies, de nouveaux rythmes, de nouvelles couleurs sonores à partir des machines de l’époque, qui étaient analogiques.
Je créais des matériaux sonores qui étaient pour moi les nouveaux matériaux de ma peinture.
J’utilisais un synthétiseur EMS, quelques magnétophones K7, un sequencer à 8 notes, etc J’avais aussi 2 générateurs de fréquences à lampes.
Introduire ces nouvelles technologies, qui produisaient du son, dans mes réalisations artistiques était pour moi singulier, car j’y voyais une nouvelle transgression dans l’art non seulement par le son mais ensuite par une nouvelle musique qui devenait le nouvel objet artistique, un objet artistique totalement immatériel. Il y avait aussi le côté machinique, industriel qui m’intéressait vraiment beaucoup.
En déplaçant l’utilisation de ces machines à des fins purement artistiques et non musicales, je déplaçais aussi les frontières de l’art et tout un nouveau pan de la recherche artistique s’offrait à moi, avec de nouvelles questions purement artistiques, philosophiques ou phénoménologiques…etc.
C.F C’est donc suite à votre recherche artistique que vous êtes devenu compositeur !
Oui, mais j’avais quand même appris la musique pendant plus de 10 ans…je n’étais pas sans base musicale.
Mais c’est bien dans cette institution des Beaux-Arts que je suis devenu par la force des choses, mais aussi finalement par choix, et presque par obligation, compositeur, et non pas au conservatoire.
Au départ c’était donc le son que j’introduisais comme nouvel objet artistique et finalement, en repoussant sans cesse les limites de mon travail artistique, j’ai fini par le remplacer par une nouvelle musique expérimentale et je suis devenu compositeur car j’étais allé au bout de ma recherche picturale.
CF : Comment se passait votre travail aux Beaux-Arts ?
J’avais ma pièce, mon atelier dans lequel j’avais installé un mini studio et je travaillais. Ma cafetière aussi ! Mais comme tout tournait autour de la musique, du son, ce n’était pas facile. Quelque part je m’étais mis en dehors du circuit Beaux-arts.
Ce qui est sûr c’est que ce n’était pas facile à l’époque de conjuguer plusieurs disciplines…Il y avait encore beaucoup de profs des Beaux-arts qui voyaient d’un mauvais œil les installations de Nam June Paik…encore plus des démarches comme celles de supports surfaces…etc.
Si aujourd’hui les installations interactives avec du son, des images vidéo…etc sont évidentes, ce n’était absolument pas le cas dans les années 70.
Mais finalement tout s’est bien passé et en 76 je passais et obtenais mon Diplôme National au Mans.
CF : Vous aviez créé une nouvelle musique ?
Créer est un bien grand mot car c’était une époque où de nombreux musiciens cherchaient de nouvelles voies en musique. Je disais que je faisais des tableaux sonores, des toiles temporelles qui étaient enregistrées sur bandes magnétiques. C’est d’ailleurs ce que j’ai défendu au Diplôme National.
Disons que j’avais jeté de nouvelles bases pour une musique contemporaine qui posait des questions inhabituelles à la musique, à travers l’utilisation de structures répétitives ou encore de sons continus. Ces questions portaient sur le jeu instrumental, l’utilisation des synthétiseurs, les nouvelles machines de l’époque, une nouvelle réalité musicale, le temps et l’occupation spatiale par le son en utilisant des haut-parleurs.
Je m’appuyais sur les bases théoriques de ma démarche artistique et c’est ainsi que peu à peu j’ai créé cette musique que vous connaissez.
A travers cette musique je cherchais ce que je ne pouvais pas faire en peinture.
Mais avant d’en arriver là, j’ai d’abord beaucoup expérimenté et questionné la peinture.
J’ai commencé par créer des environnements, par faire des installations et ensuite j’ai introduit le son.
C’était des lieux sensoriels où peu à peu je me suis débarrassé de l’objet artistique.
Et après une dizaine d’années, en 1985, j’ai totalement délaissé l’objet pictural pour me consacrer uniquement à la musique écrite.
CF : Vous dites que vous vous êtes débarrassé de l’objet pictural. Comment s’est passé ce changement
Ce n’est pas vraiment un changement. Mon propos était le même si ce n’est que j’ai changé de médium.
A partir des années 80 je me suis aperçu que je commençais à tourner en rond et que je me répétais dans ce que je faisais. J’étais allé au bout de ma démarche et je prenais conscience que la peinture, ma peinture, mes installations n’avaient plus de sens.
Il me fallait dépasser ce stade de l’installation. Le médium des arts plastiques ne me convenait plus.
Je ne voyais donc absolument plus l’intérêt de présenter ma peinture, mes installations dans une quelconque exposition.
J’avais vraiment l’impression d’être entré dans un nouvel académisme…Et comme j’étais dans un radicalisme artistique, j’ai rejeté toute idée d’exposer ou même de peindre. Je ne répondais même plus aux demandes d’expositions…
J’ai cessé de peindre pendant des années et j’ai signifié mon acte par ma performance « Dérive contre piano ». J’ai volontairement pris un instrument de musique que j’ai peint avec mes bandes obliques.
J’ai ensuite passé à la scie circulaire ce piano, je l’ai détruit et j’ai écrit dessus la phrase de Malévitch « la peinture est périmée depuis longtemps et le peintre est lui-même un préjugé du passé ».
Ce qui était pour moi un moyen de marquer mon retrait du monde de l’art. Quand tu n’as plus rien à dire, il faut savoir le dire et savoir se retirer.
Je suis devenu un peintre du silence…. Mais ce silence deviendra en fait l’objet de ma musique tout au moins en partie. On était en 1985.