En 1973 j’ai décidé d’ajouter la dimension son à ma peinture, pour aller plus loin dans ma recherche sur la perception que l’on se fait de l’espace, l’environnement, l’environné.
Cette « dimension son » sera alors le nouveau constituant plastique dont je me servirai au même titre que les autres : couleurs, formes, matières, rythmes…etc.
Si j’employais déjà la lumière électrique colorée, le son électronique me permettait d’élargir encore plus le champ esthétique de ma peinture, que j’inscrivais désormais dans une transdisciplinarité.
Une transdisciplinarité artistique qui était liée au temps et à l’espace et dont le son lui-même, était indissociable.
Le son touche notre perception de l’environnement, l’altère par sa fonction spatiale et stimule de ce fait notre perception visuelle. Il remplit l’espace et permet d’annuler les frontières entre l’environnement et le spectateur qui devient acteur.
Il permet à l’œuvre de devenir totale, d’être un endroit/ état, un lieu sensoriel.
Un lieu qui permet d’atteindre, dans l’absolu, le blanc infini de Kazimir Malevitch ou encore, le silence de John Cage.
Ma peinture, dont je disais qu’elle se confondait avec mes toiles temporelles sur bandes magnétiques, disparaissait derrière les couleurs sonores, que je spatialisais sur plusieurs haut-parleurs en créant des effets psycho acoustiques.
En expérimentant une nouvelle musique sur une base cyclique, mon objectif était de mettre le temps entre parenthèses, pour confronter l’objet sonore aux trois dimensions de l’espace réel, afin de créer une nouvelle perception de l’espace et d’amener l’écoutant à "sentir " le son, pour repenser sa propre perception du monde.
Je développais alors l’idée que la musique ou le son pouvait aller plus loin que le carré blanc sur fond blanc, dans l’expression de la pure sensibilité et la pure sensation.
Le silence/son de John Cage était la première pierre conceptuelle d’une nouvelle musique, une nouvelle dimension perceptible de la musique dans le son du silence.
Le blanc malévitchéen était le socle d’une nouvelle peinture qui la libérait du monde des objets, du monde matériel, pour rejoindre la philosophie et les théories, comme la 4ème ou la 5ème dimension, du mathématicien Ouspenski.
Ces deux créateurs avaient en fait posé les bases du questionnement de la réalité picturale et de la réalité musicale, à travers la perception et la sensation.
Le concept de cette nouvelle réalité picturale, non-objective ou sans-objet, sera développé en France par les peintres de Cercle et carré dans les années 30, puis ce concept sera repris et développé par les artistes américains du minimal art, dans les années 60.
La non-objectivité se confronte alors, et par l’objet lui-même, à l’espace tridimensionnel, dans le but de créer un environnement plastique, qui engendre un espace du "rien", du vide.
Moi-même j’ai développé ces idées au début des années 70, en repoussant les limites de ce nouvel espace en y ajoutant la dimension "son" et en le questionnant, par la nouvelle réalité musicale, issue des nouvelles technologies instrumentales de l’époque.
J’ai cherché à travers ces nouveaux moyens technologiques, les interactions perceptuelles entre le spectateur et son environnement, pour qu’il perçoive l’espace non seulement par les œuvres, mais aussi dans son rapport avec le son électronique analogique puis le son numérique des synthétiseurs.
J’ai réuni dans ces environnements les arts du temps et les arts de l’espace.
À travers cette recherche, je suis passé du monde plastique au monde musical avec, comme paramètre compositionnel, la dimension perceptuelle du son et la recherche de la sensation.
J’ai composé une musique à l’identique de ma peinture. Le vocabulaire formel est resté le même, minimaliste.
Du carré, il est passé à la note et à ses relations architectoniques dans un environnement temporel.
C’est par le questionnement de cette réalité musicale à travers sa perception que j’entends le minimalisme en musique.
Quant à ma peinture, elle restera un espace pictural du vide, une feuille blanche, une étape du temps.
Toute la dimension philosophique de ce que j’appelle le minimal art, dont on peut dire qu’il interfère avec l’art conceptuel également, est cela.
Cette nouvelle réalité musicale qui emboîte le pas à la réalité plastique, m’a permis par ailleurs, d’interroger le nouveau monde technologique qui se préparait, avec l’homme au centre de cette nouvelle problématique.